Les limites des études sur l’ostéopathie et la kinésithérapie : facteurs de variabilité et résultats cliniques

Introduction

Les études sur l’efficacité des prises en charge manuelles (ostéopathie, techniques de kinésithérapie ou autres thérapie manuelles) montrent des résultats parfois favorables pour la douleur et la mobilité, mais la littérature reste hétérogène et prudente quant à la supériorité nette de ces approches face aux alternatives ou au placebo. Cette prudence est soulignée dans des revues et rapports nationaux et systématiques [1,2]. 

Cependant, les limites de ces travaux tiennent en partie au fait que les cadres méthodologiques utilisés, notamment les essais cliniques randomisés, hérités de la recherche médicamenteuse, ne sont pas adaptés à la complexité et aux spécificités des interventions manuelles :

Principales limites méthodologiques

  1. Hétérogénéité des interventions : l’ostéopathie et la kinésithérapie couvrent une large palette de techniques (manipulations, mobilisation, relâchement myofascial, exercices…) et de dosages (durée, fréquence), rendant les comparaisons difficiles.
  2. Taille d’échantillon et risque de biais : de nombreux essais sont petits, avec un risque élevé de biais de performance. Cela limite la confiance dans certaines méta-analyses [3].
  3. Difficulté à concevoir un placebo crédible : masquer une manipulation est complexe — la variabilité des contrôles des traitements simulés influence fortement les résultats et la taille d’effet rapportée [4].
  4. Mesures d’issue subjectives et suivi court : douleur et qualité de vie sont des mesures essentiellement subjectives et beaucoup d’études ont un suivi à court terme seulement.
  5. Publication et biais des petites études : les domaines comportant de nombreux essais de petite taille ou de faible qualité sont exposés à un risque de surestimation des effets (avec des problèmes de reproductibilité et de publication sélective) [3].
Le facteur praticien-dépendant : pourquoi c’est crucial

Un point central rarement visible pour le grand public : la variabilité entre praticiens peut expliquer une part substantielle de la variabilité des résultats. Plusieurs éléments expliquent ce phénomène :

  • Compétences techniques (formation, expérience, spécialité).
  • Style communicationnel, alliance thérapeutique et « effets contextuels » (attentes du patient, explication, posture relationnelle).
  • Adaptation clinique (choix des techniques, dosage, intégration de l’éducation/exercices).

La littérature montre que les effets observés sont patient-dépendants mais aussi therapeute-dépendants : des praticiens plus « efficaces » (par leur approche technique et contextuelle) obtiennent souvent de meilleurs résultats, toutes choses égales par ailleurs [5,6]. Sur le plan mécanistique, la modulation de la douleur par les mains implique des processus neurophysiologiques et contextuels qui amplifient l’impact du praticien [7].

Conséquences pour l’interprétation des études
  • Une moyenne favorable dans une méta-analyse peut occulter une forte hétérogénéité : certains praticiens ou centres obtiennent des bénéfices importants, tandis que d’autres constatent peu ou pas d’effet [2,8].
  • Un contrôle mal standardisé ou un placebo non crédible risque d’introduire un biais, conduisant à une sous-estimation ou à une surestimation de l’effet réel [4].
  • Les recommandations cliniques devraient prendre en compte la robustesse des preuves, l’ampleur de l’effet, la durée du suivi ainsi que la transférabilité des résultats [1,3].
Recommandations pratiques et pour la recherche future

Pour les praticiens : documenter sa pratique (protocoles, nombre de séances, techniques), associer systématiquement éducation et exercice, et mesurer systématiquement les résultats (douleur, fonction(mobilité, amplitude, etc)) pour pouvoir comparer et améliorer sa pratique [9].

Pour les chercheurs : privilégier des essais bien dimensionnés, transparents (pré-enregistrement), avec interventions factices développées selon une justification théorique, analyses prenant en compte l’effet praticien (modèles hiérarchiques) et suivi à moyen/long terme. Ces mesures réduiraient l’incertitude actuelle et clarifieraient la part d’effet spécifique vs contextuel [3].

Conclusion

Les prises en charge manuelles montrent des signaux d’efficacité surtout à court terme pour certaines douleurs musculosquelettiques, mais les limites méthodologiques — hétérogénéité des interventions, problèmes de contrôle des traitements simulés, petites tailles d’échantillons, et surtout le facteur praticien-dépendant — expliquent en grande partie la variabilité des résultats.

Pour synthétiser : les méthodes d’évaluation traditionnelles ne sont pas pleinement adaptées aux pratiques manuelles, ce qui explique en partie la difficulté à obtenir des preuves homogènes et reproductibles.

Références

  1. Barry C, Falissard B; Expertise critique Joël Coste & Isabelle Boutron. Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’ostéopathie. Inserm; 2012. Inserm
  2. Dal Farra F, et al. Effectiveness of osteopathic interventions in chronic non-specific low back pain: systematic review and meta-analysis. Complement Ther Clin Pract. 2021. PubMed
  3. Ioannidis JP A. Why most published research findings are false. PLoS Med. 2005;2(8):e124. PLOS
  4. Hohenschurz-Schmidt D, et al. Blinding and sham control methods in trials of physical, psychological, and self-management interventions for pain: systematic review (PMC). 2022. PMC
  5. Bishop MD, et al. What effect can manual therapy have on a patient’s pain? — Discussion of patient-, therapist- and context-dependent effects. J Orthop Sports Phys Ther. 2015. PMC
  6. Kooijman MK, et al. Do therapist effects determine outcome in patients with musculoskeletal pain?. 2020. ScienceDirect
  7. Bialosky JE, et al. Unraveling the mechanisms of manual therapy: modelling context and neurophysiological effects. J Orthop Sports Phys Ther. 2018. jospt.org
  8. Franke H, et al. Osteopathic manipulative treatment for nonspecific low back pain: systematic review and meta-analysis. (PubMed 2014). PubMed
  9. Kerry R, et al. A modern way to teach and practice manual therapy — recommandations pour une pratique centrée patient. 2024. PMC

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